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Les Mystérieuses Cités d’Or (Taiyô no ko Esteban) - Partie 4 (Fin)
Introduction
Les origines françaises
Les origines japonaises
Les héros enfants
Le réalisme fantastique
Le symbolisme général
Les premières immersions dans l’inconscient
La découverte de la Cité d’or
Les "grands adultes" et le dénouement philosophique
Une postérité ?
Plus loin encore
Conclusion
Bibliographie et liens




Une postérité ?


Taiyô no ko a-t-il influencé certains maîtres au Japon ? Essayons de voir comment cela s’est passé chez Miyazaki et Anno. La pensée de Miyazaki (qui est en fait mêlée à celle de Takahata) a évolué depuis Conan, qui présente un écologisme assez sévère. Tenkû no shiro Laputa (1986) est un sursaut en faveur de la technologie, Mononoke Hime (1997) est une confirmation. Il suffit de voir ces œuvres pour être sûr que le réalisateur a conscience que l’homme n’a pas pour vocation de rester dans un état de nature où sévissent les guerres, les épidémies et les catastrophes, mais qu’il est dans sa nature, donc en conformité avec l’ordre de l’univers, d’être technique et même technologique, donc de transformer la nature (y compris sa nature ?) dans la visée de son bonheur, ce qui le met en danger, l’oblige à prendre des décisions extrêmes et à faire des sacrifices. Que les Cités y soient pour quelque chose est tout de même douteux : d’une part, le principe responsabilité et l’idée selon laquelle l’homme est un animal technologique (calquée sur l’animal politique d’Aristote) sont discutés depuis longtemps chez plusieurs philosophes contemporains (voir par exemple Hans Jonas, un des plus intéressants) ; d’autre part, Laputa s’inscrit dans la continuité des œuvres de Miyazaki, et nous avons vu que ce sont plutôt les Cités qui s’inspirent du maître. Un seul exemple : à bien y réfléchir, les personnages de Sheeta et Pazu sont plus proches de la Bergère et du Ramoneur de Grimault que de Zia et Esteban. Miyazaki est un réalisateur ouvert et influencé, oui, mais Laputa peut très bien avoir été élaboré sans qu’un Fils du Soleil interfère.



Le cas d’Anno est beaucoup plus intéressant. Rappelons d’abord que les scénarios de Tenkû no shiro Laputa et de Fushigi no umi no Nadia sont proches, globalement mais aussi dans certains détails. Ce n’est un secret pour aucun spécialiste de l’animation japonaise que Nadia, série réalisée à partir de 1990, rend hommage à Miyazaki. Pourtant, la pensée d’Anno s’écarte notablement de l’écologisme : au lieu de compléter une angélique philosophie de la nature par son "ombre", son autre, c’est-à-dire une philosophie de la technologie, Anno fait l’inverse, il se centre sur une philosophie de la technologie, de la puissance, de l’action, de l’émerveillement face au progrès scientifique, et essaie de la rendre parfaite en la confrontant et en l’unissant à son douloureux contraire. Ses œuvres sont par conséquent assez noires car ses personnages ne sont pas de calmes contemplatifs, ni des actifs qui se satisfont de peu : l’envie, l’orgueil, l’incapacité, l’échec, la mort… viennent les tourmenter de façon réaliste voire surréaliste. Cela étant dit, plusieurs pistes semblent indiquer qu’Anno a connu Taiyô no ko avant de composer le scénario de Nadia.

D’abord, certains points du scénario présentent des similitudes. Quelques exemples : Néo-Atlantis veut ressusciter une Atlantide détruite par sa propre science ; son chef, Argon (ou Gargoyle, un Ménator en plus vicieux et plus mégalomane), a fait construire une tour de Babel qui imite l’arme absolue que possédaient autrefois les Atlantes ; le capitaine Nemo se sacrifie dans le dernier épisode de la série, pour des motifs semblables à ceux du père d’Esteban… Par contre, le duel Nemo-Argon diffère complètement de la confrontation Grand Prêtre-Ménator parce que la tournure des événements est tout autre. Anno a vu dans la prise de pouvoir de Muska, dans Laputa, un certain sadisme très éprouvant pour l’âme qui mériterait d’être traité avec plus d’ampleur : le mal doit envahir l’absolu et abattre les volontés des êtres soit-disant inférieurs pour que se révèlent les vrais sentiments des hommes confrontés à la pire des situations. Remarquons aussi qu’Anno dépasse souvent la rétro-fiction pour évoquer le réalisme fantastique : les êtres mythiques qui terrorisent les hommes sont en fait des produits de la science, les contenus inconscients et les découvertes scientifiques sont comme liés et harmonisés.

Le traitement des deux héros enfants dans Nadia est des plus instructif. La hiérarchie, ou plutôt l’opposition miyazakienne est conservée : la fille est une princesse céleste, elle a tout mais on la prive de ses biens ; le garçon est un roturier terrestre, il n’a rien mais aspire à tout. Anno va compliquer les caractères des personnages en adressant apparemment une critique acerbe aux Cités. Pour lui, le couple Esteban-Zia est irréaliste et inadapté aux mythes modernes : les signes de son élection divine contrastent avec la philosophie du progrès. De tels personnages sont faits pour habiter les mythes qui se complaisent dans l’irrationnel. Galahad, le chevalier saint sur lequel le mal n’a pas d’emprise, devant qui la forêt s’écarte, contraste utilement avec Lancelot. Mais une telle figure n’a pas sa place dans un mythe humaniste et humble. Zia a une telle sensibilité qu’elle peut parler aux animaux ; Anno prend un malin plaisir à ridiculiser l’irascible Nadia quand elle s’essaie à la même chose. À part le fait qu’il vient d’Europe, Jean n’a rien d’un Esteban ; par contre, il a presque tout d’un Tao ! Il fallait s’y attendre : Anno préfère un personnage qui n’a aucun pouvoir inné autre qu’un potentiel intellectuel et un amour des sciences et des techniques.

Que les japonais aient ou n’aient pas apprécié le travail effectué sur Taiyô no ko, la série a sûrement influencé des gens réceptifs. À l’heure où l’on parle de réaliser une suite (MCO 2 ou tout autre nom qu’on voudrait lui donner), il faut comprendre que la série originale n’appelle pas de suite. Le nombre sept rattaché aux Cités d’or est un symbole numérique répandu, par exemple dans la Bible il est utilisé comme pour marquer d’un sceau sacré un récit ou un de ses éléments. L’auteur a dit ce qu’il voulait dire en ne se concentrant que sur une seule Cité, il faut en quelque sorte considérer que les Cités sont "sept et une" et surtout ne pas s’attendre à ce qu’un schéma symbolique différent accompagne chacune. L’auteur cherche d’emblée à dire l’essentiel de son témoignage philosophique, il ne laisse rien pour plus tard. Est-il judicieux d’inventer une suite qui répèterait ou pire encore ne reposerait plus sur le trésor symbolique que nous avons exposé ? Le départ des trois enfants pour les six autres Cités ne doit pas être considéré comme le début d’un nouveau voyage fictif, mais comme une invitation à un voyage bien réel : il s’agit de mettre à profit pour soi, dans sa propre vie, l’enseignement reçu. La série a une prétention initiatique et s’adresse à tous, faibles et forts en esprit. Si l’on veut tout de même trouver une suite sensée, il faut la chercher dans le contexte esthético-philosophique (japonais en premier lieu) et comprendre qu’elle consiste en un réaménagement du système exposé.

En effet, les systèmes philosophiques (et aussi les perspectives artistiques) d’un auteur ne sont valables que parce qu’ils ne sont pas figés, mais vivent de destructions et de renouvellements chez le même auteur ou d’autres auteurs, conformément au contenu même de ces systèmes qui témoignent, symboliquement ou explicitement, de la destruction et de la résurrection de concepts (c’est l’alternance et la dialectique des opposés) : un système est cohérent justement s’il peut se nier et se reconstruire, s’il expose de façon critique sa propre histoire, sa fin et son retour, donc s’il se contient lui-même, et c’est là le sens de l’ouroboros. Le vrai et le beau n’ont pas d’autre façon d’apparaître en ce monde, le Japon ne fait pas exception.


Plus loin encore


Portons notre attention sur l’épisode 21 de Cowboy Bebop, ou encore sur des séries récentes de la Gainax comme Abenobashi ou Puchi Puri Yuushi. On y rencontre en effet des lieux, villes ou mondes, agencés, non sans humour, selon un schéma symbolique en cinq parties dont une centrale. Ce système est clairement annoncé dans les épisodes, il n’est pas aussi dissimulé que dans les Cités, ce qui a plutôt tendance à l’affaiblir, à le décrédibiliser. Dans Cowboy Bebop, les quatre dieux-animaux associés aux quatre points cardinaux, le dragon et le tigre (premier couple d’opposés), la tortue et l’oiseau (second couple), matérialisés dans la cité martienne, sont les repères pour trouver la Pierre de Soleil. Le quartier marchand d’Abenobashi est lui aussi protégé par ces quatre divinités nées de la pensée dualiste chinoise (elles représentent des combinaisons de yin et de yang).



Dans Puchi Puri, le royaume des Humains, qui représente en quelque sorte le soi, ou notre réalité, côtoie quatre autres mondes, le Paradis et l’Enfer, le monde des Elfes (la nature) et le monde des Esprits. La représentation d’un cercle magique dans une B.D., un jeu vidéo ou un autre support artistique, ne démontre aucunement la sagacité du scénario, il faut être bien plus subtil. Puchi Puri, qui n’est pas un anime d’une profondeur à couper le souffle, mise surtout sur le divertissement d’un jeune public ; pourtant, cette série de 2002 porte l’empreinte d’une pensée magique occidentale, qui cherche à aller au-delà des systèmes philosophiques "raisonnables". Le monde des Humains est ambivalent : il est tantôt le cœur du système des quatre autres univers, faisant de Yuushi, sa représentante, la clé de leur impossible entente (grâce au prodige du sourire, egao no tensai), tantôt un monde qui ne se distingue pas des quatre autres et forme avec eux un pentacle dirigé par une sixième instance : le monde magique, ou plutôt ses tristes vestiges, car cette surenchère de mondes pose problème aux scénaristes de la Gainax, et ils le font savoir.

L’esprit des Cités désapprouve, à mon avis, un tel dépassement des quatre éléments et de leur quintessence vers un sixième élément qui contemplerait extérieurement, "de haut", les mystères de l’homme et de l’univers, au lieu de les vivre à leur niveau. Il refuse de le croire possible, tout comme on juge sortie d’un esprit malade l’idée d’une entité transcendante antérieure à Dieu même. L’idée du sixième monde serait déjà en germe dans Nadia, où la tour de Babel sert aussi à communiquer avec un autre monde, extraterrestre. Il est vrai aussi que, dans Taiyô no ko, la Cité d’or pointe vers le soleil, mais cet axe vertical est fatal aux Olmèques lorsque Ménator cherche à s’élever pour contempler la Cité : la science-sorcellerie attise les flammes de l’enfer. Il ne faut pas y voir une insupportable morale de soumission des hommes bons à ce principe dirigeant plus fort que l’on appelle parfois Dieu : les Cités n’ont jamais manqué de donner le goût des défis et de l’exercice de la liberté ; en outre, soumission et insoumission sont des attitudes propres aux Incas et aux Mayas face aux Espagnols ou face aux Olmèques qui usurpent le trône divin. Le vrai Dieu, c’est l’homme : point de Dieu au-dessus du cercle de la science et de son centre doré, Dieu est déjà dans ce système en cinq parties, absolu, achevé.

Il est bien dommage que nous ne puissions pas expliciter, rationaliser le schéma symbolique des Cités sans risquer de faire fausse route et de lui donner une valeur qu’il n’a pas. Il aurait été intéressant de parler d’unité et de multiplicité, d’esprit et de matière, ou d’expliquer pourquoi analyser le système ne lui ajoute pas de sixième élément. Abenobashi et d’autres œuvres affrontent des problèmes métaphysiques sérieux, comme la multiplication du monde unique et vrai en autant de mondes qu’il y a de subjectivités, comme l’échange et l’interpénétration de ces mondes, mécanismes qui font que les hommes sont entre eux en conflit, alors qu’ils ont une raison commune et que chacun exprime à sa manière toutes les autres subjectivités. Cela suffirait à nous consoler. Seulement voilà : scénaristes et metteurs en scène ont décidé d’être plutôt avares en paroles et de tourner en ridicule leurs réflexions. Mamoru Oshii s’est essayé à ce traitement irrévérencieux en apparence dans la comédie Urusei Yatsura, avant de réaliser les magnifiques œuvres que l’on connaît. Il y a plusieurs explications possibles. C’est peut-être l’aveu d’un manque de compréhension d’une partie du problème soulevé, ou alors une façon de montrer l’absurdité des raisonnements sans fin que l’esprit humain atteint parfois. C’est peut-être une manière de voiler les indices de l’authenticité des réflexions ou de se distinguer de tout un groupe d’œuvres intellectuellement assez pauvres dont les auteurs, ou bien se prennent pour de grands penseurs, ou bien se moquent de leur public en imitant des œuvres à succès. En tout cas, c’est rire de soi-même. Pour avoir davantage de réponses, je crois qu’il est nécessaire de bien connaître les milieux otaku. C’est un autre sujet.

Nous retiendrons que la présence de schémas symboliques "géographiques" dans les séries que nous avons citées fait que la théorie des trois ruines, du Bouclier Fumant et de la Cité d’or est plausible, même s’il n’y a pas une influence directe de Taiyô no ko sur ces séries récentes.


Conclusion


Dans un cadre psychanalytique, nous pouvons dire que, même s’il décrivait ses propres expériences psychiques, l’auteur de Taiyô no ko Esteban voulait en même temps créer un système symbolique collectif le plus complet possible, où en s’identifiant à l’animus ou à l’anima (Esteban ou Zia) et en s’unissant à la partie opposée après intégration des contenus inconscients, le spectateur pouvait accéder à une guérison de l’âme qui était en même temps une victoire sur l’inquiétude liée à l’avenir incertain de l’humanité. Jung appelle ce processus l’individuation ou formation de la personnalité. À propos de cette guérison, il dit (Psychologie et alchimie, page 162) : « Le rêveur a relié le bas et le haut, c’est-à-dire qu’il a décidé de ne plus vivre comme un être abstrait et incorporel, mais d’accepter le corps et le monde de l’instinct, la réalité du problème de la vie et de l’amour, et d’agir en conséquence. [...] L’individuation, le devenir soi, n’est pas seulement un problème spirituel : c’est le problème de la vie en général. »



Mais l’auteur a modéré l’exposition de ses expériences. Tout d’abord, celles-ci ne parasitent pas le bon déroulement du scénario, ce qui permet de n’apprécier les Cités que comme un divertissement. C’est un choix qu’Anno, par exemple, a refusé en élaborant un sublime mais élitiste Neon Genesis Evangelion, où l’expérience psychique, collective mais aussi individuelle, empiète sur tout le reste pour la plus grande victoire de l’art mais au détriment de nombreux spectateurs. Ensuite, l’auteur n’a pas triché : il a préféré mettre en scène la fin tragique des Olmèques, et peut-être aussi l’arrêt brutal de ses propres expériences, plutôt qu’inventer une fin triomphante où l’animus et l’anima s’uniraient sur le trône de l’humanité. Il est possible aussi qu’il ne se soit pas senti capable d’emmener le spectateur aussi loin. Mais la prophétie, la promesse des Cités d’or demeure : elles existent quelque part, elles habitent nos rêves, elles sont le fruit de nos méditations et la fin de nos actions. Nécessairement engagés sur le chemin périlleux mais vivifiant de la concrétisation d’un lointain absolu, nous décidons librement de la manière de progresser. C’est ainsi que nous réalisons notre humanité et que nous sommes beaux. Voilà l’ultime message des Mystérieuses Cités d’Or.


Bibliographie et liens

Henri Favre, Les Incas, PUF.
Louis Pauwels, Jacques Bergier, Le matin des magiciens, Gallimard.
Carl Gustav Jung, Psychologie et alchimie, Buchet / Chastel.
Carl Gustav Jung, Métamorphoses de l’âme et ses symboles, Georg, Le Livre de Poche.
Carl Gustav Jung, La synchronicité, principe de relations acausales, dans Synchronicité et Paracelsica, Albin Michel.

Pour mieux connaître le staff japonais... En japonais : http://pierrot.jp/title/esteban/
Un site en français (documents, interviews...) : http://www.citesdor.com/
Un autre site en français, lui aussi bien fourni : http://www.lescitesdor.com/
Un site français sur le studio Ghibli : http://www.buta-connection.net/
Une courte biographie d’Anno : http://namida.cyna.net/anno.html



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Le 06-07-2006 à 21:06:03 par : Ryoga

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