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Akira - 20 ans Après - Partie 2
De ce rejet des valeurs du passé et des conventions sociales, caractéristiques principales des mangas, Akira tire certainement une bonne partie de son succès : en rejetant les leçons d’hier (cette Histoire dans laquelle s’englue la BD franco-belge) et leurs morales dépassées (carcan des productions Disney et de leurs cousins, les comics) qui ne parviennent pas à répondre aux questions actuelles, et sans poser davantage d’interrogations lui-même, Akira obtient sa gloire. De par son postmodernisme, c’est-à-dire la réduction de l’ensemble des valeurs culturelles et artistiques établies au cours de l’Histoire au rang de simples produits au sommaire d’une liste dans laquelle il suffit de se servir, Akira s’impose comme une œuvre en prise complète avec son temps et son public.

Et dans son sillage se glisse la culture manga hors de l’archipel. Cette fois laissées intactes par les éditeurs, au contraire de celles qui avaient précédé, toutes plus ou moins mutilées par la censure (Hokuto no Ken, Saint Seiya) ou par le conformisme à des contraintes de diffusion (Captain Harlock and the Queen of a Thousand Years, Battle of the Planets, Robotech), voire par les arrangements commerciaux (Voltron, Transformers), les productions affluent en masse, sur les supports imprimés comme audiovisuels, jusqu’à atteindre un niveau d’audience si colossal qu’aucun actionnaire ne peut plus prétendre qu’elles ne signifient rien. Parce qu’elle paraît nouvelle et qu’elle répond ainsi aux demandes d’un public en quête d’une différence, d’une rupture, mais aussi parce que toute une génération des années 70 et 80 a été sensibilisée à ses particularités via certaines émissions télévisées, la culture manga – et tout ce qu’elle implique de goodies et autres merchandising annexe – est enfin sortie du Japon.

Dans les pages de Mad Movies, Alexandro Jodorowski, cinéaste mystique (El Topo, La Montagne Sacrée) et scénariste de BD incontournables (L’Incal, La Caste des Meta-Barons), place Otomo au panthéon des grands visionnaires du siècle : "Otomo est un grand metteur en scène de cinéma, et pas de cinéma d’animation uniquement : il a effectué des innovations en matière de couleurs, dans le montage et dans les prises, qui prouvent son immense talent. Le monde d’Otomo n’est pas un monde enfantin. Comme nous tous, adultes, il a grandi avec la bande dessinée et il laisse derrière lui la BD pour enfants. Aujourd’hui, il s’adresse aux adolescents et aux jeunes adultes. Il y a chez lui une heureuse utilisation de la violence, qui maintenant habite notre planète pour un nombre incalculable de siècles." Et il ajoute : "Quand on vit avec un tigre, il faut apprendre à l’apprivoiser. Otomo apprivoise la violence et la transforme en art. Il nous apprend à trouver de la beauté dans la déchéance de nos villes modernes. Puisse cette beauté nous envahir pour que ce monde se transforme." Et en conclusion : "Au fond, Akira est la lamentation d’une jeune poète. Il n’y a pas de différence entre Otomo et Rimbaud." Et Jean "Moebius" Giraud, qui a beaucoup travaillé à la venue d’Akira en France, déclare dans Animeland : "(…) Il y a aussi l’arrivée d’Otomo qui est un phénomène, un génie, qui s’est exprimé d’abord dans la BD, et qui a vu dans le dessin animé un prolongement de son génie dans la couleur, le son, la musique. Le résultat, c’est Akira qui est un moment du cinéma tout court." Quand on lui fait remarquer que Jodorowski a exalté la violence d’Akira et que cet argument pourrait nuire aux animes, il nuance le propos de son partenaire de travail et ami : "Pas du tout. Il a très bien dit que pour lui, l’art est violent. L’art c’est le forçage des verrous, le dynamitage des limites intérieures. Ça ne peut être que violent." Et dans Mad Movies : "Akira n’est pas une réflexion sociale sur l’injustice car au niveau politique, ce n’est pas une vision positiviste. Les luttes aveugles décrites dans le film obligent les individus à reformer leur monde intérieur. Ainsi, les chocs cyclopéens monstrueux sont reliés à des visions oniriques et il n’y a de salut que dans le contrôle de son propre rêve. Akira fait partie d’une évolution picturale, artistique et philosophique, qui nous cueille telle une révolution."



Mais le succès d’Akira est à double tranchant pour son réalisateur : désormais sous le charme des muses du cinéma, la création de mangas ne l’enthousiasme plus autant. De sorte que son travail sur la version en images fixes commence à traîner, à s’égarer, à balbutier. Déjà, avant la sortie du film, Otomo en avait dessiné une fin qui n’avait satisfait personne, y compris lui-même. Mais le film à présent achevé, il peut s’y remettre sérieusement. Pourtant, l’inspiration ne vient pas, de sorte que c’est après une longue discussion avec Alexandro Jodorowski qu’il trouve enfin la conclusion souhaitée. Dans une interview sur Allociné, le cinéaste chilien explique : "Je l'ai rencontré quand on a présenté Santa Sangre au Japon. On était dans un restaurant et il avait demandé une bouteille de whisky. Il m'a alors parlé d'Akira, qu'il n'arrivait pas à finir. Et je me rappelle qu'on était soûls. J'ai pris un crayon et je ne sais pas ce que je lui ai fait. Mais toujours est-il qu'après, il a déclaré dans la presse que je lui avais donné la fin... Mais de mon côté je ne me souviens plus du tout de ce que je lui ai dit." C’est donc en juillet 1990 que parait le 120ème et ultime épisode d’Akira dans les pages de Young Magazine. Pour la petite histoire, cette conclusion fut retravaillée en vue de la publication du dernier album qui ne parut qu’en 1993, un délai dû à Otomo qui a longtemps traîné sur ces modifications, somme toute mineures. Seul l’épilogue, que nous connaissons tous, fut réalisé spécialement pour l’occasion. Il fit aussi des changements, à peine discernables, sur l’édition occidentale colorisée, et ce n’est pas avant 1999 que les lecteurs français virent la version japonaise originale quand elle fut (re)traduite et publiée par Glénat en six volumes noir et blanc, identiques à leurs équivalents nippons.

Ainsi s’achève la saga Akira, après une publication étalée sur plus de dix ans.


3. Après Akira :
À partir de cette année 1990, Otomo va essentiellement se consacrer au cinéma et à l’animation : "Alors que je travaillais sur Akira, je profitais de chaque nouvel épisode pour donner plus de profondeur et de masse à cette cité cyclopéenne (qu’est Neo-Tokyo). Je persistais dans ce sens à travers une variété de situations pour monter une narration graphique. Mais avec un film vous pouvez combiner tout ceci en une seule œuvre et je pense que c’est beaucoup plus convaincant dans un film que dans une BD". Adieu au manga, donc. D’ailleurs, même Hunchback, sa collaboration prévue de longue date avec Alexandro Jodorowski, reste à ce jour dans l’impasse créative. Toutefois, il commence à travailler le scénario de Legend of Mother Sarah, illustré par Takumi Nagasayu et paru en série dans Young Magazine : l’odyssée d’une mère à la recherche de ses enfants perdus dans un monde post-apocalyptique. La même année sort Kanojo no Omoide..., premier volume de l’Otomo Anthology dont un des récits, Memories, servira de base au premier court métrage du film éponyme de 1995.

Mais c’est surtout l’époque où il aborde – enfin – le cinéma live action, avec le long métrage World Appartment Horror : "C’est l’histoire d’un petit et très sale immeuble de Tokyo habité par des travailleurs manuels venant de toute l’Asie du sud-est." explique-t-il dans les pages de Mad Movies. "Des gangsters achètent le building et envisagent de virer tous les locataires pour permettre la construction d’un gratte-ciel. Ils envoient des gros bras pour les intimider. Apparaissent alors des fantômes. Ce sont davantage des monstres que des esprits de gens morts. Ils viennent de toutes les régions de l’Asie et des Indes et se situent plus dans la tradition japonaise que dans le sillage de Casper et de S.O.S. Fantômes." Dans la lignée d’un Hayao Miyazaki, dont les kamis de Mon Voisin Totoro ont fait le tour du monde, Otomo juxtapose la tradition et les folklores asiatiques à la vénalité et au modernisme qui dévorent le Japon d’aujourd’hui : un choc des cultures pourtant présenté sous l’angle de l’humour, ce qui n’est pas la manière la plus populaire d’aborder le sujet dans cette région du monde où beaucoup de gens croient encore aux mononokes – ces "âmes des morts ou des vivants qui font du mal à autrui" – et où, suivant les principes de l’Onmyodo qui ont toujours cours de nos jours, on ne place pas de portes sur les murs exposés au sud-est et au nord-ouest car il n’y a pas si longtemps encore on craignait de voir les maisons envahies par les démons... Otomo découvre donc, et avec une certaine candeur, la réalisation de films live action, c’est-à-dire mettant en scène des comédiens en chair et en os dans des décors réels : "Le cinéma en prises de vues réelles est intéressant dans la mesure où il synthétise des effets sonores, de la musique, des techniques purement cinématographes, des choix au montage, des tas d’éléments qui, réunis, produisent une image mentale à l’écran."


Il travaille aussi au scénario de l’OAV Roujin Z, sur une de ses idées, à propos d’un des problèmes les plus préoccupants du Japon contemporain : le vieillissement de la population. Dans cette courte réalisation, pour laquelle Otomo réalise le mecha design avec Mitsuo Izo et qui introduit aussi un certain Satoshi Kon à l’industrie de l’anime, l’essai d’un prototype de lit infirmier sur un vieillard dépendant tourne vite au tragi-comique quand l’ordinateur de gestion de l’appareil se met à répliquer la personnalité de l’épouse décédée du cobaye suite à l’intervention de quelques vieux hackers d’une maison de retraite qui aiment bien s’amuser à craquer des systèmes. Si le propos de départ de cette histoire est tout ce qu’il y a de plus sérieux, son développement se veut par contre résolument burlesque, pour ne pas dire parodique ; car on retrouve dans cette réalisation non seulement la question de fond évoquée dans Domu/Rêves d’Enfants mais aussi la plupart des éléments d'Akira : de l’expérience militaire secrète cachée sous des dehors civils aux petits vieux pirates informatiques qui se comportent comme des gosses, en passant par les "mutations" mécaniques de l’engin – qui ne vont pas sans rappeler Bubblegum Crisis, au passage – jusqu’au vieillard gaga et dépendant dont les fuites urinaires lui font mouiller ses draps et dont le crâne chauve rappelle irrésistiblement un bébé, c’est une bonne partie des idées d’Akira qui se retrouvent ici combinées – l’ultra-violence, le totalitarisme post-nucléaire et le futur immédiat en moins, malgré un clin d’œil tout à fait évident à la Tyrell Corporation de Blade Runner. En dépit de cette bonne idée de départ, la narration s’enlise vite dans une espèce de naïveté disneyenne qui, si elle ne manque pas de pertinence, reste présentée de façon maladroite quand la jeune infirmière jusqu’ici en charge du vieillard impotent ne manque pas de faire remarquer aux concepteurs de cette machine d’assistance que l’engin est tout à fait incapable de procurer l’amour et les relations humaines dont toute personne a besoin. De plus, la récente actualité de la robotique japonaise à l’attention des vieilles générations démontre bien que le message d’Otomo est pour le moins exagéré (voyez notamment le système HAL-5 développé par la société Cyberdine et dont la production en série a commencé à l’été 2006) car des solutions, à la fois techniquement plus simples et humainement plus adaptées, sont non seulement possibles mais bien entendu privilégiées par rapport à celle du genre qu’envisage Otomo dans Roujin Z, pour les mêmes raisons que celui-ci développe dans son histoire. On retiendra donc de ce film surtout son aspect comique ainsi que son dénouement haut en couleurs et en action, deux éléments qui ne laisseront peut-être pas indifférent mais qui, en dédramatisant le propos, tendent à en réduire aussi la portée contrairement à ce qu’a pu faire Domu/Rêves d’Enfants dix ans plus tôt.


Le temps passe alors. Otomo développe les adaptations de plusieurs de ses one-shots qui sortiront sous la forme du film à sketches Memories en 1995, dont le titre est celui du manga original servant de base au premier segment du film bien que celui-ci soit ici renommé Magnetic Rose – probablement pour rajouter de la confusion là où elle n’était pas nécessaire. C’est aussi l’occasion pour lui de travailler avec Studio 4°C qui participera à chacun de ces trois courts rassemblés en un seul long et avec lequel les collaborations ne s’arrêteront pas là. Bien que d’une qualité de réalisation typique du perfectionnisme d’Otomo, cette production laisse une impression assez mitigée : si les premiers et derniers segments brillent par leur atmosphère respective, le second sketch est malheureusement plus « simple » tant par la forme que par le contenu. Alors que les deux autres se veulent plus expérimentaux, que ce soit par le scénario dans le cas de Magnetic Rose ou par le graphisme dans celui de Cannon Fodder, ce dernier, Stink Bomb, est d’une banalité à toute épreuve, s’achevant même sur une chute – qui se veut drôle mais qui rate son coup après le déluge de burlesque qui la précède – alors qu’il est aussi le second court le plus long de l’ensemble : on aurait apprécié une interversion des longueurs avec le troisième et dernier sketch, Cannon Fodder, qui avait au moins le mérite de proposer des visuels et un background uniques, malheureusement restés sous-exploités.

Otomo a certainement dû le sentir lui aussi car c’est à ce moment qu’il commence à mûrir un projet qui mettra prés de dix ans à se concrétiser et qui est, au moins au départ, un développement de Cannon Fodder bien que ce soit peu visible dans le résultat final. Une des raisons pour lesquelles ce projet prit si longtemps serait que les technologies d’imageries numériques de l’époque ne suffisaient pas à rendre la vision d’Otomo telle qu’il l’avait imaginée.

En 1996 sort SOS! Tokyo Metro Explorers, aussi appelé Otomo Anthology 2, qui sera adapté au cinéma dix ans plus tard. La même année, il dessine et scénarise The Third Mask, un hommage à Batman qui paraît directement chez l’éditeur américain DC Comics au mois de septembre. L’année suivante, Otomo participe comme conseiller au film qui révèle Satoshi Kon au grand public, Perfect Blue, un thriller psychologique d’envergure souvent qualifié d’hitchockien, mais aussi une critique acerbe du star system japonais à travers une représentation du phénomène des idols. 1997 est aussi l’année de la sortie de Zed, l’adaptation en manga de Roujin Z illustrée par Tai Okada, une itération qui n’ajoute rien de particulier au film de départ.


Otomo participe également à la production de Spriggan, un film de science-fiction orienté action pour lequel il élabore également la structure narrative ; c’est une adaptation du manga éponyme de Hiroshi Takashige publié en 1989 : Yu Ominae, un jeune spriggan (sorte de super soldat aux capacités génétiquement augmentées) à la solde de l’armée privée ARCAM, rejoint un groupe de chercheurs qui a retrouvé l’Arche de Noé enterrée sous des montagnes turques. Ce gigantesque artefact cacherait une puissance monstrueuse dont le Pentagone veut lui aussi s’emparer en envoyant à cet effet une escouade de ses soldats d’élite composée, entre autres, du (très) jeune colonel MacDougall mais aussi des cyborgs Fatman et Little Boy qui ont tous deux un vieux compte à régler avec Yu Ominae. Cette production se présente d’abord sous un aspect plutôt conventionnel, à base d’explosions et de combats, pour évoluer dans son dernier tiers vers une réalisation à l’imagerie plus qu’expérimentale, où on retrouve la patte des cintrés de chez Studio 4°C, doublée d’une critique des leçons bibliques à travers une mise en abîme pour le moins inattendue du mythe original de l’Arche de Noé. Si on retrouve dans ce film quelques-uns des éléments centraux d’Akira – tel que les expériences militaires sur des enfants (ici des orphelins de guerre au lieu d’orphelins tout court) et les facultés surhumaines (ici obtenues par une interface avec un équipement artificiel au lieu de manipulations génétiques), ou encore la volonté de puissance inhérente à ces dernières, mais aussi la présence d’un objet nanti du pouvoir absolu ou en tous cas presque absolu – on reste malgré tout loin du foisonnement d’idées et de sens ou encore de la supériorité technique qui ont fait le succès du chef-d’œuvre d’Otomo. Il en résulte une réalisation somme toute plutôt surprenante, malgré son anti-américanisme typiquement japonais, et qui vaut bien le coup d’œil.

Suivant l’exemple de nombre de ses confrères, Otomo s’attaque ensuite à une franchise qui reste une pierre angulaire de l’animation japonaise et réalise Mobile Suit Gundam : Mission To The Rise, un spécial de trois minutes, projeté lors du Gundam Big Bang Proclamation le 1er juillet 1998 – l’événement au cours duquel sont annoncés la série TV Turn A Gundam, de Yoshiyuki Tomino, et le film live action aux SPFX 3D G-Savior, deux projets destinés à célébrer le 20ème anniversaire de First Gundam, la série originale qui lança le mythe en 1979. En plus d’en dessiner le story-board et d’en créer la plupart des designs, Otomo rédige également le script de ce (très) court : un Gundam pour le moins inhabituel où un essai de la Fédération sur le voyage spatial à une vitesse supérieure à celle de la lumière se voit compromis par l’intervention de forces armées de Zeon qui détruisent les installations mais sans empêcher le vaisseau de décoller pour autant.


Si la collaboration d’Otomo avec Sunrise ne s’arrête pas là, c’est pour le moment à un projet autrement plus ambitieux qu’il se consacre en écrivant le scénario de l’adaptation en long métrage d’animation de Metropolis. Contrairement à ce que prétend la rumeur, le manga éponyme d’Osamu Tezuka ne s’inspirait pas du film de Fritz Lang, chef d’œuvre du cinéma allemand des années 20 que Tezuka a avoué n’avoir jamais vu, mais seulement de son affiche. Si ce manga de 1949 différait donc largement du film de Lang, en dépit de nombreuses ressemblances forcément involontaires, le scénario d’Otomo revient par contre aux racines de l’histoire originale en présentant une vaste mégapole futuriste où la ségrégation sépare les hommes des robots, les premiers représentant les dirigeants et les seconds les masses laborieuses exploitées par les précédents : en construisant un robot aux apparences de jeune femme, le Dr Laughton espère rapprocher les humains de leurs serviteurs mécaniques ; mais les passions sont chaotiques dans cette cité tentaculaire, et le projet du Dr Laughton va vite se heurter aux divers intérêts des uns comme des autres. Plus qu’une adaptation, ce film comporte une réalisation somptueuse et des graphismes numériques frisant l’expérimental. C’est à l’époque le budget le plus cher de l’histoire de l’animation japonaise. Metropolis récupère plusieurs éléments de l’ensemble de l’œuvre de Tezuka qu’il combine de façon étonnement homogène en reflétant ainsi l’excellente culture "classique" de son scénariste sur le manga moderne en général et les travaux de son maître fondateur en particulier.

La même année que Metropolis sort le manga Hipira: The Little Vampire pour lequel Otomo définit la trame générale alors que la partie graphique est exécutée par Shinji Kimura (qui a entre autres participé à Project A-Ko mais aussi Mon Voisin Totoro ou encore Akira, le film).

Par la suite, Otomo se consacre pleinement à terminer ce projet qui, à ce moment, traîne depuis plus de six ans, ce développement de Cannon Fodder qui exigeait des technologies d’imagerie numérique plus abouties que ce qui existait à l’époque de Memories. Un projet plus qu’ambitieux donc, au budget proprement monumental (2,4 milliards de yens, soit la seconde explosion de record de coût de production d’un anime pour Otomo), mais qui laissera les fans de l’auteur assez dubitatifs en fin de compte. Si Steamboy, sorti en 2004, étonne d’abord par le genre qu’il illustre – le steampunk, cette catégorie de la science-fiction que ses inventeurs avaient à l’époque érigée comme une sorte d’ "anti-cyberpunk" en basant leurs récits sur une ère victorienne où la vapeur (d’où le nom de ce genre) permet toutes sortes de prodiges technologiques à travers des intrigues forcément uchroniques (c’est-à-dire qui se déroulent dans une Histoire parallèle à la nôtre, où les événements et leurs répercussions ne sont pas ceux qu’on connaît) – si ce revirement à 180° par rapport à l’atmosphère d’Akira ne manque pas de surprendre les fans, c’est surtout la légèreté, pour ne pas dire l’absence de propos qui gêne les admirateurs de la première heure. Car Steamboy est une œuvre quasiment vide de sens ; avec sa morale basée sur des lieux communs tels que "la guerre, c’est mal" et des personnages simplistes pour ne pas dire caricaturaux dans une intrigue qu’on peut résumer en deux lignes (l’histoire d’un jeune inventeur qui reçoit de son grand-père un dispositif révolutionnaire, le Steam Ball, en s’attirant ainsi les foudres des méchants prêts à tout pour récupérer l’engin), ce film ne va pas sans évoquer une production Walt Disney pour spectateurs avides de grand spectacle. Là encore, Otomo a bien dû sentir qu’il manquait quelque chose car la séquelle est encore en cours de développement : en espérant que cette fois le résultat soit à la hauteur des attentes des fans de la première heure habitués à des scènes d’apocalypse dignes de ce nom...


En 2006, Otomo travaille sur les designs et le story-board de Freedom, une OAV ambitieuse de Sunrise à l’esthétique toute particulière et qui est acclamée dès son premier épisode comme une réussite narrative et graphique en dépit de quelques publicités pour le sponsor principal du projet que beaucoup ont trouvé un peu envahissantes. Dans ce XXIIIème siècle, une guerre totale pour les dernières ressources en énergie et en matériaux a dévasté la Terre deux siècles plus tôt et une base lunaire établie jadis en vue de préparer la colonisation de Mars est devenue le dernier refuge de l’Humanité ; au sein de cette colonie à présent métropole, le jeune Takeru passe son temps dans des courses de motos opposant des gangs rivaux à la lisière de la loi, ce qui finit par lui valoir une condamnation à des travaux d’intérêt général : alors qu’il inspecte des installations extérieures, une météorite s’écrase non loin de lui mais quand il va vérifier de quoi il s’agit, il constate que c’est en fait les restes d’une petite fusée envoyée de la Terre par tout ce qui a l’air d’être des survivants... On peut reprocher à cette production un certain "hollywoodisme" dans son dénouement bien que l’idée motrice de l’histoire reflète surtout les préoccupations traditionnelles du Japon quant à l’équilibre des relations entre la civilisation et l’ordre naturel, soit un élément central de la culture nippone qui fut considérablement bousculé par l’urbanisme et la modernisation à outrance d’après-guerre et qu’on retrouve depuis dans de très nombreuses créations locales. Sur les plans techniques et artistiques, le seul réel défaut concerne l’animation des personnages apparemment en images de synthèse au rendu cartoonreyes (un procédé qui permet de donner l’apparence de la 2D à des éléments modélisés et animés en 3D) mais sans motion capture (ce dispositif qui permet de reproduire à l’exacte les mouvements de comédiens pour les assigner ensuite à des modèles 3D afin de leur donner une animation très réaliste) ; toutefois, on reconnaît bien, et avec un certain plaisir, le style d’Otomo dans les expressions faciales, au moins pour les premiers épisodes, ce qui contribue à donner beaucoup de présence aux différents personnages de cette courte série.

L’année suivante, Otomo adapte en long métrage live action le célèbre manga Mushishi de Yuki Urushibara : cette réalisation s’articule autour de quatre histoires principales basées sur les chapitres 3, 7, 12 et 20 du manga original. Elle est projetée au festival du film de Sundance sous le titre de Bugmaster. Dans ce Japon médiéval, Ginko est un mushi-shi, une de ces personnes capables de voir mais aussi de soigner les infections dues aux mushi, des êtres éthérés liés à la source de toutes formes de vie. Alors que Ginko erre de villes en villes en perfectionnant son art jour après jour, les événements de sa vie passée qui l’ont amené à devenir guérisseur se révèlent peu à peu. En dépit d’une idée de base tout à fait intéressante, et qui ne va pas sans rappeler l’œuvre de Miyazaki à plus d’un titre, cette réalisation s’enlise vite dans le syndrome du film à sketch, où le spectateur peine à discerner le fil conducteur qui relie les différentes intrigues – par ailleurs plutôt originales dans l’ensemble – pour au final s’ennuyer assez fermement ; on apprécie toutefois l’ensemble de la photographie et les paysages somptueux ainsi que la subtilité des SPFX numériques qui participent beaucoup à l’ambiance au lieu de la plomber contrairement à beaucoup de productions actuelles.

La même année sort SOS! Tokyo Metro Explorers: The Next, adaptation du manga quasi-éponyme publié dix ans plus tôt dans Otomo Anthology 2 et sur laquelle Otomo n’a aucune participation directe en dehors de la création de l’ œuvre originale et de ses chara designs. Au cours d’un déménagement, le jeune Ryuhei trouve dans les affaires de son père un carnet de notes révélant la présence d’un trésor caché dans les anciennes installations souterraines de la Seconde Guerre mondiale par-dessus lesquelles on reconstruisit Tokyo après la reddition du Japon. Avec son petit frère Sasuke et trois amis d’une chat room, il décide de se lancer dans l’aventure et tombe sur une espèce de société underground, au sens strict du terme, composée surtout d’anciens défavorisés devenus rebuts du système mais aussi d’un ancien soldat pour qui la guerre n’est toujours pas finie. Cette production humoristique qui tourne en dérision les démons du passé et du présent pêche un peu par l’animation des personnages – de la même façon que dans l’OAV Freedom – et par son intrigue plutôt téléphonée bien que efficace sur ses aspects comiques et satiriques où on reconnaît bien les inspirations dénonciatrices du jeune Otomo au début de sa carrière.

Le film Mushishi est à ce jour la dernière réalisation d’Otomo : à l’exception de la séquelle de Steamboy, ses projets actuels n’ont pas été révélés au grand public.



UNE ŒUVRE CYBERPUNK ?

Probablement en raison de certains de ses éléments prépondérants (futur proche, milieu urbain étouffant, déshumanisation de la société, expériences scientifiques menées sur des cobayes humains...), Akira fut vite estampillé "cyberpunk" et placé dans la mouvance d’autres œuvres telles que Blade Runner ou Ghost in the Shell avec lesquelles il ne partage pourtant que quelques idées, et encore juste de façon ponctuelle pour ne pas dire anecdotique ; on peut aussi y voir une de ces manœuvres marketing pour vendre un certain produit à une certaine audience en l’affublant d’une certaine étiquette, au moins pour ce qui est de la promotion de ce manga en Occident. Alors qu’en est-il vraiment des rapports entre l’œuvre d’Otomo et le mouvement cyberpunk ? Pour répondre à cette question, il apparaît nécessaire de revenir dans un premier temps sur la notion de cyberpunk telle qu’elle avait cours à l’époque d’Akira avant d’examiner plus en détail quels sont les points de convergence et de divergence qui unissent et séparent ce manga et ce genre.

Le lecteur profane en la matière s’étonnera peut-être d’apprendre que la science-fiction est en perpétuelle évolution : d’une façon assez semblable à toutes les cultures littéraires et artistiques, celle du manga n’étant pas en reste comme on l’a vu précédemment, la science-fiction a épousé les moindres soubresauts des sociétés où elle s’est répandue pour mieux les représenter et, parfois, de plus en plus souvent d’ailleurs, pour les dénoncer. Après le Frankenstein de Mary Shelley, souvent considéré comme la première œuvre du genre, la science-fiction s’est contentée pendant un temps d’évoquer les fantastiques possibilités que laissaient présager les découvertes scientifiques balbutiantes du XIXème siècle pour narrer des récits de "merveilleux scientifique" (Wells) ou de "voyages extraordinaires" (Vernes), avant de devenir prétexte à toutes sortes d’épopées plus ou moins farfelues sur le plan technique (comme avec E.E. "Doc" Smith et ses space operas démesurés, ou encore Edgar R. Burroughs et son cycle du Guerrier de Mars) pour trouver enfin une première légitimité intellectuelle vers la toute fin des années 30.

Cette époque du genre, qui s’étala sur environ deux décennies et qu’on appela "Âge d’Or", a vu surgir des auteurs préoccupés de vraisemblances scientifique et technique en tâchant de produire des récits crédibles sur ces plans ; on peut citer, parmi beaucoup d’autres, des gens comme Arthur Clarke (qui contribua au scénario de 2001, l’Odyssée de l’Espace) ou Isaac Asimov (qui écrivit le cycle des robots positroniques dont fut tiré le film I, Robot avec Will Smith). Ces écrivains fondèrent la science-fiction moderne, c’est-à-dire celle qui décrit l’impact des avancées scientifiques et techniques sur l’évolution des systèmes sociaux. Très versés dans les domaines des sciences, souvent par leur formation, ces auteurs étaient bien placés pour évoquer ces sujets et les développer dans des fictions qui servaient la plupart du temps à illustrer leurs idées techno-scientifiques.

Vinrent les années 60. La science-fiction s’adapta à l’air du temps : en plus de prétendre à une réelle sophistication littéraire, les récits se politisèrent mais accueillirent aussi la musique et la culture rock tout en s’ouvrant aux sciences dites "molles" – telles que la linguistique (Samuel Delany et son Babel 17) et l’ethnologie (Ursula Le Guin avec La Main gauche de la Nuit) – en opposition aux sciences dites "dures" – comme la physique ou la biologie et autres sciences exactes. La science-fiction avait mûri, et était passée de l’exactitude au doute, à la remise en question. Bref elle avait évolué pour mieux s’inscrire dans son époque. On appela "New Wave" cette évolution du genre qui succéda à l’ "Âge d’Or".

Deux autres décennies plus tard, la science-fiction avait encore évolué : c’était l’aube des années 80, le temps des cyberpunks.


1. Cyberpunk et science-fiction :
Cyberpunk, Radical Hard Science Fiction, Techno-Marginaux, Vague des Années 80, Technopunks, Neuromantiques, Néo-Classiques, Clan des Verres-Miroirs...


Cyberpunk. De toutes les étiquettes qui fusèrent au début de la décennie 80, c’est celle-ci qui s’imposa pour désigner "le Mouvement" : de jeunes auteurs ambitieux, la plupart férus de science-fiction dans sa forme littéraire dès leur jeune âge, qui échangeaient à travers leurs courriers, et depuis plusieurs années déjà, des manuscrits et des idées mais aussi des louanges et des critiques. Des auteurs dont certains sont devenus célèbres bien au-delà des frontières de la communauté SF (comme William Gibson, auteur de Neuromancien, œuvre-phare du genre cyberpunk mais aussi bible des hackers), s’étaient découvert des goûts, des idées, des thèmes et des symboles communs. Bref une appréciation du réel qui les amena à créer une nouvelle forme de science-fiction.

À l’époque, ce « Mouvement » nous entraînait dans un monde étrange, car fait d’intégrations les plus inattendues, les plus choquantes, où les gens n’avaient plus rien de normal. Le terme "cyberpunk" lui-même reflétait cette doctrine de l’intégration, de la juxtaposition de concepts sans aucun rapport les uns avec les autres, voire parfois antagonistes. Terme né de la plume de Bruce Bethke qui l’avait donné à une de ses nouvelles parue en 1983, il fut officiellement adopté en 1984 par Gardner Dozois, un ponte US du genre SF, dans la revue Asimov’s Science-Fiction Magazine pour désigner ce nouveau courant de la SF littéraire qu’il avait d’abord appelé "Punk SF". Car le "Mouvement" avait pour credo de mélanger technologies de pointe et underground pop. Si le mot "cyberpunk" est maintenant bien connu, à la limite du langage courant, son sens est plus subtil qu’il n’y paraît au premier abord.

"Cyber" évoque bien sûr la cybernétique, cette science constituée par l’ensemble des théories relatives au contrôle, à la régulation et à la communication dans l’être vivant et la machine ou encore "l’art de gouverner". Ainsi, c’est l’ensemble des nouvelles technologies, du vivant comme de l’inerte, qui se trouve représenté dans le "Mouvement" : informatique et réseaux, mais aussi urbanisme et manipulations génétiques, entre autres.

Le terme "punk" est par contre plus insidieux. Il évoque bien entendu le mouvement juvénile de contre-culture qui s’est développé dans la seconde moitié des années 70 sur les pas des beatniks, en se basant sur une révolte systématique contre les valeurs établies à travers une expression brute – voire brutale – et spontanée privilégiant toutes les formes de création. Associé au nihilisme, au dadaïsme, à l’anarchisme et au mouvement alternatif, le punk avait pour but de faire table rase du passé et de renouveler à la fois la musique en particulier et la culture en général à travers entre autres l’utilisation de son propre corps comme moyen d’expression, par les coupes et/ou les teintes de cheveux mais aussi les tatouages ou les piercings voire tout simplement les vêtements, et de préférence de manière provocatrice. Car les punks considéraient les nouvelles technologies, et surtout si elles étaient associées à l’informatique, comme une source d’aliénation. C’est donc leur absence totale d’espoir dans le futur de l’humanité qui explique leur fameuse expression "no future!". Plus prosaïquement, Virginie Despentes écrit dans son roman Bye Bye Blondie : "Le punk rock était le premier constat de l’échec du monde d’après-guerre, dénonciation de son hypocrisie, de son incapacité à confronter ses vieux démons." À partir de là, tout et surtout n’importe quoi est permis : le mouvement punk est donc extrême par essence, ce qui en dit long sur les auteurs cyberpunks.


Mais "punk" signifie aussi, et littéralement en anglais dans le texte, "débutant" ou "novice", voire "sans valeur" ou encore "déchet", autant de termes qui conviennent aussi très bien aux cyberpunks : le sens premier correspond à la nouveauté du "Mouvement" dans la sphère SF, avec tout ce que ça implique d’innovation dans les modes de pensée et donc de méthode de création. Et le second, à ce qui deviendra sa marque de fabrique dans son credo du produit technologique comme objet si banal qu’il en devient jetable – et ce n’est pas un hasard si l’industrie des années 80 a développé cette philosophie du jetable où on ne répare plus les appareils en panne pour se contenter de les remplacer – un objet technologique qui perd ainsi toute notion de sacralité ou d’exclusivité comme c’était le cas auparavant, à l’époque où sciences et technologies étaient les domaines de privilégiés opérant dans les hautes sphères techniciennes alors que les autres n’y comprenaient pas grand-chose. Cette subtilité dans la définition du mot "punk" souligne un point de divergence fondamental entre le mouvement punk et les cyberpunks : au contraire des premiers, ces derniers considéraient les nouvelles technologies comme libératrices, comme un espoir de transformation des rapports sociaux à travers une assimilation complète du produit technologique mais dénué de toute forme de méfiance réactionnaire ou de sacralisation ignorante.

Le "Mouvement (cyberpunk)" se voulait donc postmoderne, à la fois dans le fond et la forme, par la synthèse qu’il faisait des courants de la SF qui le précédaient et leur (sur)exploitation au sein d’un même récit. Dans "Les Neuromantiques", un article pour Asimov's Science-Fiction Magazine, l’écrivain de SF Norman Spinrad explique : "Gibson écrit de la hard science. Mais il ne l'écrit pas comme Heinlein ou Poul (William) Anderson ou Hal Clement, même pas comme Gregory Benford. En termes de style, de philosophie, d'esthétique et d'état d'esprit de son protagoniste, Gibson est plutôt cousin d'Ellison, de William Burroughs. (…) Neuromancien réalise l'apparente contradiction d'un roman de hard science New Wave. Neuromantique. Neuro/mantique. Mais aussi néo-romantique." Si les cyberpunks revenaient aux racines du genre SF et réactualisaient cette Hard Science de papy en utilisant les technologies de pointe les plus poussées (informatique, bionique, génétique, etc.), ils proposaient aussi un état du monde et des personnages aux caractéristiques proches de cette New Wave contestataire et politisée du temps de papa (dérèglement climatique, surpopulation urbaine, effondrement des valeurs morales, héros banal perdu dans la masse, ou encore univers intérieurs).


Ainsi, le genre cyberpunk présentait un univers crépitant et précipité, saturé d’acides, ivre de cachets, bariolé de transistors et de rebuts technologiques, où les ados se font greffer des yeux artificiels et des crocs de doberman, où les hackers pillent les matrices et les banques de données avec leurs virus programmés sur mesure, et où tout se vend, des secrets militaires aux périphériques informatiques, des hallucinations aux gênes mutants, de l’espoir à l’oubli. "Vivre vite, mourir jeune (et faire un beau cadavre)" sous le joug des "zaibatsu", ces corporations et multinationales qui, du haut de leurs tours d’ivoire inaccessibles aux déchets rampants des rues, ordonnent le moindre souffle de ce monde fou, hystérique et chromé. Le cyberpunk, c’était la vision électronique d‘un monde fulgurant, angoissé et camé, noyé dans les interfaces, les transistors et les fibres optiques qui s’insinuent dans la vie de tous les jours (PC, baladeurs, portables, etc.) puis dans le corps (membres artificiels, implants, altérations génétiques, etc.) et enfin dans le cerveau (interfaces homme/machine, intelligences artificielles, neurochimie, etc.). Les cyberpunks étonnaient à chaque page en poussant le lecteur dans un monde bizarre, parfois surréel, peut-être merveilleux, au moins pour certains, et où l’impossible devenait quotidien. Cette Troisième Vague, comme on l’appela aussi, est vite devenue une sorte de réforme plus qu’un nouveau courant : moins timide que son père spirituel, la Hard Science, mais plus en prise avec le réel que son inspirateur direct, la New Wave, il a poursuivi son chemin dans les sentiers délaissés par ses ancêtres pour aller toujours plus loin, toujours plus vite, jusqu’à la limite et souvent au-delà. Et ça marchait : déjà, on y croyait à ces membres artificiels palliant les handicaps, à ces terminaux contrôlés en ligne directe par la pensée, à ces puces implantées dans le cortex pour augmenter le savoir et ces processeurs greffés sur le corps pour améliorer les réflexes, mais aussi à ces pluies acides résidus d’une industrie folle, à ces zoos des espèces disparues reproduites par clonage, à ces virus artificiels capables de génocides et ces manipulations génétiques capables de triompher des pires anormalités, ou encore à ces casses du hardware, à ces cyberspaces terres de liberté virtuelle et à ces multinationales marchandes de plaisir et symboles de terreurs...

Et à voir le monde présent, on n’a pas eu vraiment tort d’y croire.

Mais plus que tout, les cyberpunks ont réussi à créer une SF populaire, à l’image de ses racines underground : si jadis sciences et technologies étaient les secrets de magiciens qui animaient les électrons et brisaient les atomes, le "Mouvement" fit surgir la SF du moindre coin de rue, dans les PC, les balances électroniques, les chaînes hi-fi laser et les vidéodisques, la télévision et les magnétoscopes. Si les cyberpunks dérangeaient, c’était par leur proximité, leur crédibilité : les croiseurs interstellaires déchirant l’hyper-espace en un faisceau de tachyons avaient laissé la place au téléphone répondeur sur la table de l’entrée.

Un impact d’autant plus important que le héros même du récit avait changé de visage : le génie scientifique bardé de diplômes et au langage toujours un peu obscur avait laissé la place à l’homme de tous les jours avare de phrases sophistiquées ; ou encore l’homme de la rue, de toutes les rues, de toutes les races, de toutes les religions, celui qui évolue dans cette zone tampon entre drogues synthétiques et gadgets informatiques, entre le dealer du quartier et le magasin Dell de la rue voisine. Hybrides, les cyberpunks hantaient ces zones intermédiaires où, pour reprendre les mots de William Gibson, "la rue utilise les choses à sa façon" : des produits courants de l’industrie comme les bombes de peinture ou les tourne-disques assemblés en tables de mixage servaient à taguer ou à raper et les cyberpunks faisaient de même ; comme beaucoup de courants artistiques de leur époque, ils mixaient, détournaient, recyclaient,... Les années 80 furent une période de constante réévaluation, d’intégration, d’hybridation, de sophistication, de réactualisation dont le "Mouvement" a bien sûr hérité en son temps, avec une ferveur et une avidité rares et fécondes.

Et Akira est lui aussi un produit des années 80.


2. Cyberpunk et Akira :

Les premiers éléments cyberpunk du film sautent aux yeux : les personnages principaux de l’histoire sont de jeunes motards qui passent leurs soirées dans un bar mal famé où le patron deale des cachetons, au lieu de rester devant la télévision avec papa-maman ; des héros "populaires" donc, dans le sens de "issus de la plèbe" au lieu de hautes écoles bourgeoises, et qui tuent le temps à la lisière de la loi, entre défonce et baston à la manière d’Alex et ses "droogies" dans Orange Mécanique. Puis la ville, cité / usine / dépotoir / post-Hiroshima 2, un enfer de béton et de bitume dont les feux étouffent la clarté des étoiles et où les masses laborieuses grondent en silence dans ces rues "qui utilisent les choses à leur façon" et où les gangs règlent leurs comptes dans des soirées d’ultra-violence ; un environnement urbain donc, marque de fabrique du genre cyberpunk, mais où la technologie reste familière, tout à fait reconnaissable, pour souligner que ce futur est proche, terriblement proche, quasi immédiat en fait… Comme dans beaucoup d’œuvres qui se veulent cyberpunk, Akira c’est juste demain, en 2019 pour être précis, l’année où se déroule Blade Runner, qui reste à ce jour le meilleur exemple du genre sur le grand écran.

À partir de là, les choses commencent à diverger. Alors qu’on devrait voir sortir des mercenaires ou n’importe quels autres agents à la solde d’une de ces mega-corporations pour lesquelles les dirigeants politiques des nations n’ont aucune signification ni même aucune valeur, ce sont les militaires – à peine entraperçus jusque-là – qui rentrent dans le jeu : des représentants de l’ordre étatique donc, celui que les multinationales sont pourtant censées avoir abattu depuis longtemps.

Puis les choses reprennent une tournure plus respectueuse du genre cyberpunk. Tetsuo subit des manipulations – qu’on suppose génétiques à défaut de réelles explications, hypothèse présentée dans le manga original – au sein des labos de l’armée : entourées de palabres mystérieuses, pour ne pas dire mystiques, au moins un peu, ces opérations vont transformer le cobaye, tant sur le plan physique (modification du corps, et précisément du cerveau) que mentale (développement du pouvoir et de la « volonté de puissance » associée à celui-ci) ; c’est donc l’intrusion de la technologie de pointe au sein de la chair, puis de l’esprit, au moins au sens figuré. Cependant, et c’est un autre point de divergence avec les récits cyberpunk, cette technologie ne reçoit pas d’applications pratiques dans la vie de tous les jours pour y devenir un objet banal et utilisé par tous. Elle demeure exceptionnelle à l’instar de la prothèse bionique qu’utilisera plus tard Tetsuo pour remplacer son bras perdu. De plus, ces expériences menées sur des civils par l’armée – donc l’État, au moins de manière implicite, et pas les "zaibatsu" – évoquent beaucoup plus une réminiscence des légendes urbaines inspirées par les affaires concernant la fameuse Zone 51 ou le projet MKULTRA, sans compter toutes celles dont on ne sait rien, qu’un élément cyberpunk à proprement parler : ces sujets de "la théorie du complot" existaient avant le genre, et l’ont probablement inspiré, au moins un peu, mais il ne les a pas inventés, ils ne font pas vraiment partie de sa marque de fabrique, c’est plutôt un thème "cousin" du cyberpunk.

À l’examen de ces divers éléments, il s’avère que l’étiquette "cyberpunk", peut-être un peu trop vite attribuée à Akira, ne lui convient pas si bien que ça. Si certains éléments du genre y sont bien présents, ils ne suffisent pas à en faire « exactement » une œuvre cyberpunk, il semble plus juste de dire que ce manga et ce genre entretiennent entre eux des analogies traduisant l’appartenance à un mouvement de pensées et de création typique de l’époque – soit la charnière des années 70/80 – et qu’on retrouve dans beaucoup d’autres œuvres du moment elles aussi inspirées par leur temps. En d’autres termes, si le cyberpunk reste un pur produit de ces années 80, il n’en est pas l’unique rejeton pour autant, juste un héritier parmi d’autres dont Akira fait aussi partie, à l’instar de films tels que Alien, le 8ème Passager (compagnie qui traite les équipages de ses vaisseaux comme "consommables"), Mad Max (effondrement des valeurs de la civilisation), Terminator (robots identiques aux humains et mus par I.A.) ou Tron (tribulations de programmes conscients dans une sorte de cyberespace) mais aussi de BD comme Ranxerox (androïde conçu à partir des pièces d’une photocopieuse pour servir de partenaire sexuel à la très jeune Lubna), Ronin (résurgence d’un samouraï d’antan dans un New York madmaxien), Le Pêcheur de Brooklyn (vie quotidienne d’une famille moyenne au sein d’une Amérique de demain agonisante) ou Gene Kong (un chercheur transforme son ADN pour survivre dans la jungle urbaine) : ainsi, de même que les cyberpunks et bien qu’il n’en fasse pas vraiment partie, le chef-d’œuvre d’Otomo n’en est pas moins un reflet des fantasmes et des terreurs d’une époque, quoique d’une manière typiquement japonaise comme on l’a vu dans la partie précédente.



LES PERSONNAGES

Bien que de nombreux personnages évoluent dans Akira, seul quelques uns possèdent un rôle vraiment moteur : "Il n’y a pas qu’un seul héros dans Akira," déclare Otomo dans Mad Movies. "Vous avez quatre personnages centraux (Kay, le Colonel, Kaneda et Tetsuo). Tous peuvent être considérés comme le principal protagoniste de cette histoire. Jamais je n’ai eu envie de baser Akira sur un seul visage. Je préfère la description de plusieurs personnalités, de plusieurs aspects de la vie de Neo-Tokyo." Si ces personnages ne manquent pas d’intérêt, comme on va le voir, il faut bien admettre que la plupart des autres restent assez "clichés" : on y trouve un groupuscule "rebelle" à l’ordre établi et dirigé par un traître avide de pouvoir, un conseil municipal borné et vraisemblablement corrompu, des chercheurs obsédés par leur quête de savoir au point d’en négliger les risques, des copines plus que superficielles pour les jeunes héros masculins, le leader spirituel d’un groupe qu’on suppose religieux mais dont on est assez certain qu’il est illuminé, etc. Bref, seuls les bikers et les mutants sortent vraiment du lot, et ils sont tous porteurs de traumatismes de l’enfance : c’est bien là l’origine de leurs doutes envers les enseignements et les expériences des adultes, à l’instar de cette jeunesse de "L’Expérience Originelle" d’après-guerre dans laquelle le manga moderne trouve ses racines.

On ne peut pas s’empêcher de penser que la profondeur et la complexité du manga original ont probablement "grandi" les qualités du film, celui-ci ne pouvant pas atteindre le même niveau de détails (biographiques) et d’explications (techniques) par son format même. Pour cette raison, une bonne partie de ce chapitre se base sur le manga d’Akira au lieu du film, ce qui permet de constater encore l’importance du lien qui unit la narration graphique au cinéma d’animation chez les japonais.


1. Tetsuo Shima :
Certainement le personnage le plus important de l’histoire puisque celle-ci n’aurait pas eu lieu sans lui, mais aussi le plus intéressant du point de vue psychologique, et surtout à travers sa relation avec Kaneda.


Orphelin ou enfant abandonné, Tetsuo a perdu ses parents très jeune et fut confié à un centre spécialisé alors qu’il n’avait peut-être pas encore six ans. C’est là qu’il rencontra Kaneda.

Très fragile sur le plan psychologique, probablement à cause de la perte de sa famille et par le changement d’environnement que représente son arrivée à l’orphelinat, Tetsuo se vit rejeté par ses nouveaux camarades qui en firent le souffre-douleur et la tête de turc de l’établissement sur qui tout le monde passait ses humeurs, en groupe de préférence. Il se lia d’amitié avec Kaneda (lui aussi un nouveau pensionnaire mais au tempérament plus combatif) qui le prit en sympathie, pour des raisons qui ne sont pas non plus précisées, et qui devint en quelque sorte son protecteur : c’est un élément fondamental de la personnalité de Tetsuo car cette relation "de dépendance" avec Kaneda ne fit qu’empirer sa fragilité, en montrant à Tetsuo qu’il était incapable de se défendre seul et en le plaçant dans un éternel rôle de "petit frère" vis-à-vis de Kaneda.

Quand la bande se forma avec Yamagata, Kay et les autres, Kaneda en prit naturellement la tête, et ceci renforça le complexe dont souffrait Tetsuo de par sa fragilité et sa dépendance envers son ami : comme beaucoup de caractères de ce type, il se retrouva d’une part à toujours vouloir prouver sa valeur, que personne ne reconnaissait lui semblait-il, et le plus souvent à travers des actes aussi téméraires qu’idiots (son attitude durant la bagarre avec le gang des Clowns, au tout début du film, en étant la parfaite démonstration). Il développe aussi une réaction de "rébellion" contre cette autorité puisque le frère aîné, même au figuré, n’est jamais qu’une autre image du père. Ajouté à tout ça que la compétition est systématiquement de mise dans les rapports entre jeunes garçons, et le tableau est complet. Bref, consciemment ou non, Tetsuo se mit à revendiquer la tête du groupe, non sans heurts bien évidemment, d’où la "rivalité" qui oppose les deux amis.

Celle-ci se retrouve en quelque sorte catalysée à travers la moto de Kaneda, symbole d’autorité dans le groupe de motards car c’est le véhicule le plus sophistiqué de la bande (elle a été customisée pour lui, et tout porte à croire qu’il l’a volée) en plus d’être un élément phal-lique par essence puisqu’elle représente force, vitesse et indépendance.


C’est pourquoi, si Tetsuo ne fait que désirer la moto de Kaneda dans un premier temps, il en vient vite à la revendiquer ouvertement quand il croit, à tort, son ami mort : le "rival" désormais écarté, Tetsuo estime qu’elle lui revient puisqu’il est parvenu à prouver sa supériorité sur son "protecteur", jusqu’ici l’unique symbole de force qu’il craignait. Cette place de l’élément moto dans la bande est aussi démontrée par la réaction de Kaneda à la mort de Yamagata quand Kaneda détruit la moto de son ami décédé en la précipitant contre un mur à toute allure dans le but de "l’envoyer à Yamagata" : ce passage ne va pas sans rappeler les traditions de certaines civilisations, le plus souvent machistes, tels que les vikings qui enterraient leurs chefs dans l’océan en déposant leurs dépouilles dans un drakkar auquel ils mettaient ensuite le feu, ou n’importe quelle autre culture qui inhumait ses guerriers avec leurs armes pour qu’ils puissent en disposer dans l’au-delà. S’il va de soi que les motards de la bande de Kaneda n’ont certainement jamais entendu parler de telles mœurs, puisqu’ils sont tous dans un cursus de réinsertion sociale et professionnelle qui laisse peu de place à la culture générale, leur propre rapport à ce qui fait d’eux des motards ne va pas sans évoquer une phallocratie semblable : à l’instar du cavalier de jadis, la moto est bien entendu le destrier du motard, c’est-à-dire ce qui le définit, et même dans la mort.

C’est la combinaison de l’ensemble de ces éléments qui sert de base à la trame narrative quand, sous l’influence du pouvoir, Tetsuo oublie toutes les valeurs humaines péniblement inculquées par un système social que, de toutes manières, il sent bien en faillite, au moins au fond de ses tripes, et depuis longtemps : cette crainte permanente et irraisonnée de l’autre couplée à son désir enfin exaucé de se rendre maître de son destin par la force le conduit à éliminer tous ceux qui lui semblent se placer sur sa route, dont Harukiya, le patron du troquet qui sert de QG à la bande de motards, puis Yamagata, donc un membre de la bande, c’est-à-dire l’unique famille de Tetsuo...

Mais en dépit de ce pouvoir, Tetsuo éprouve des souffrances déchirantes ; des souffrances d’abord physiques alors que le pouvoir se développe et qu’il faut recourir à tout un arsenal de médicaments toujours de plus en plus puissants pour le contenir et apaiser la douleur, à la manière des junkies pour lesquels il en faut toujours plus. Les souffrances sont ensuite morales, quand il pleure l’amitié perdue et les parents disparus, puisque autant de violence n’est bien sûr rien d’autre que la manifestation d’un immense chagrin. Car c’est bien la perte de sa famille qui provoqua la toute première blessure de Tetsuo, à la fois directement, par la disparition de l’amour parental, mais aussi indirectement, par la rupture avec la vie d’avant cette perte quand il arriva à l’orphelinat. Plusieurs éléments du manga indiquent de façon claire que c’est sa mère qui manque le plus à Tetsuo, ce qui n’a rien d‘étonnant car des deux parents c’est celui qui a le plus d’importance pour un petit garçon "abandonnée" par sa protectrice légitime. Tetsuo s’est bien entendu replié sur lui-même à travers une réaction assez typique servant d’échappatoire à la douleur, à juste titre considérée comme intolérable. La reconstruction se fit peu à peu mais pas totalement. Et malgré sa bande, Tetsuo resta un "enfant perdu" jusqu’à ce qu’il rencontre la jeune Kaori au lycée professionnel. Figure maternelle par définition, les sentiments que lui porte Tetsuo dépassent largement ceux que les autres membres de la bande ont pour leurs copines respectives alors qu’elle est pourtant, et de loin, la moins jolie du groupe, mais la moins superficielle aussi, et la plus sincère certainement. Si son parcours à elle reste pour le moins obscur, on peut supposer qu’elle a vu dans la fragilité de Tetsuo ce que cherchait son instinct de mère probablement plus développé chez elle que chez les autres filles de son entourage ; Tetsuo hurle de douleur lui aussi quand elle meurt, broyée vivante, dans la gigantesque plaie qu’il devient lors de sa mutation finale, il hurle car lui aussi sent la douleur de Kaori en lui – certainement par l’intermédiaire de ses facultés psioniques – mais aussi parce qu’il perd ainsi pour la seconde fois la personne qui avait le plus d’importance pour lui et qu’il avait recherchée toute sa vie : sa mère.

Tetsuo est donc un personnage complexe, torturé et œdipien, porteur d’une de ces ambiguïtés morales fréquentes dans les productions japonaises : à l’instar des mutants X-Men ou du monstre Godzilla, il n’est ni coupable ou même seulement complice mais bel et bien une victime.


2. Kaneda Shotaro :
Un personnage clé qu’on a du mal à trouver intéressant au premier abord : un motard qui passe sa vie dans les virées, les bagarres, la came et qui court après les filles le reste du temps, un petit junky macho à la grande gueule et lâche. Bref, un délinquant juvénile sans aucun avenir devant lui.


Kaneda rencontra Tetsuo à l’orphelinat où il s’imposa vite comme son protecteur et son maître à penser. Car au contraire de Tetsuo, Kaneda n’est pas sorti affaibli de la perte de ses parents. Comment il fut abandonné, comment il rencontra ses amis et comment il monta sa bande, ce n’est pas précisé et pas vraiment important non plus, on s’en fait une idée assez facilement après tout : les jeunes comme lui vivent au jour le jour ("No Future!, encore…) et si les parents les ont abandonnés, pourquoi faire l’effort de se rappeler d’eux en fin de compte ? Tetsuo fut traumatisé, Kaneda choisit d’oublier : si la disparition des parents l’a peiné, il n’en montre rien car comme toutes les petites frappes, il sait très bien que le style l’emporte sur la manière et que l’apparence de la force est souvent synonyme de force. Tous les enfants des rues savent ça ; ceux qui ne l’apprennent pas finissent mal la plupart du temps... Bref, Kaneda prit la tête du groupe et Tetsuo sous son aile – auquel il apprit même la moto – et à aucun moment il ne comprit ce qui se passait dans la tête de son ami, comme personne d’autre d’ailleurs : il n’en vit que les conséquences...


Si la place de l’amitié est prépondérante dans tous les groupes de jeunes, Kaneda lui consacre une place particulière : tous orphelins, ils ont formé leur propre famille, chacun étant le frère que l’autre n’avait jamais eu. Voilà pourquoi l’amitié existe toujours derrière la vendetta qui lie Kaneda à Tetsuo après que ce dernier eut tué Yamagata, un autre "grand frère" : en tant que "chef de famille", Kaneda avait envers sa bande une responsabilité qu’il n’a pas su assumer, même s’il n’admettra jamais que la colère comme justification, et encore seulement de manière implicite. L’affaire ne pouvait se régler qu’entre Tetsuo et lui. Pour les mêmes raisons, et d’une façon pas du tout paradoxale en fin de compte, on ne s’étonne pas de l’hésitation de Kaneda devant la souffrance de Tetsuo qui, effondré au sol, gémit et tremble de tous ses membres : bien qu’il ait l’œil sur le viseur et le doigt sur la gâchette, Kaneda ne peut se résoudre à tirer ; de même, sa réaction face à la mutation finale de Tetsuo, pourtant effroyable, alors que la lumière d’Akira engloutit son "petit frère", d’autant plus que Tetsuo le supplie de le secourir une fois de plus : Kaneda avait toujours été son ami après tout, son protecteur, et renoncer à ce moment-là aurait signifié renier tout ce qu’ils avaient partagé ; de la même façon qu’il avait oublié Tetsuo en voyant Kay, Kaneda oublie le meurtre de Yamagata devant la douleur de Tetsuo et, cette fois, l’amitié est plus forte que la haine ou la volonté de vengeance, mais aussi la couardise qui caractérise pourtant la plupart des petits délinquants dans son genre.

Malgré tout, la personne qui a le plus d’influence sur Kaneda reste Kay. Antithèse totale du jeune délinquant, elle s’évertue sans cesse à repousser ses avances grossières en lui remettant les idées en place : avec elle, par cette abnégation qu’elle fait de ses propres intérêts personnels, à la fois comme membre d’un groupe clandestin œuvrant contre un régime autoritaire mais aussi comme médium à travers lequel les mutants du centre de recherche militaire canalisent leur pouvoir pour tenter d’arrêter Tetsuo, grâce à elle donc, Kaneda trouve certes cet amour véritable qui le change de ses conquêtes d’un soir mais aussi, au moins d’une certaine manière, il se trouve lui-même en réalisant que son avenir n’est plus dans la défonce ou la violence gratuite.

S’il n’est pas très complexe, Kaneda incarne une autre facette de la créativité propre à la culture manga, en proposant un personnage qui présente une évolution certaine depuis une sorte d’archétype vers une autre à travers toute une série d’épreuves qui prennent une allure initiatique.

Cliquez pour lire la troisième et dernière partie de l'article : Akira - 20 ans Après
Le 25-02-2009 à 00:34:24 par : Guilhem

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